REFLECTIONS SUR L'EXPLOSION DE BEYROUTH

 REFLECTIONS SUR L'EXPLOSION DE BEYROUTH

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STUPEUR ET TREMBLEMENTS

Il était précisément 15h08 en temps universel en ce 4 août 2020 lorsque des sismographes installés à travers le Moyen-Orient et le sud-est de l'Europe enregistraient des mouvements du sol équivalents à ceux provoqués par un séisme de magnitude 3,5. Il s’avèrera que les ondes sismiques avaient été déclenchées par la détonation d’un stock de 2750 tonnes de nitrate d'ammonium entreposé avec négligence dans le port de Beyrouth, déclenchant l'une des plus puissantes explosions non nucléaires de tous les temps.

UNE SAISON EN ENFER

En une fraction de seconde, la gigantesque déflagration a laissé tous les environs en ruine, endommagé des bâtiments dans un rayon de 50 km et a été ressentie jusqu'à 250 kilomètres de son centre. Le bilan humain est très lourd, l'explosion ayant tué plus de 200 personnes, blessé environ 6500 autres, laissé 300 000 résidents sans abri et toute une population traumatisée.

POUR QUI SONNE LE GLAS

La destruction de la capitale libanaise ne s'est pas limitée aux pertes humaines et matérielles. L’explosion a ébranlé une certaine idée de la Ville-Monde, menaçant le mythe de la métropole polyglotte et cosmopolite. Aujourd’hui, l’esprit de Beyrouth est en danger. Ce n’est pas seulement son patrimoine urbain et architectural qui est menacé, mais aussi son identité propre, son patrimoine culturel immatériel et la mémoire collective de tout un peuple.

TOUS LE MATINS DU MONDE

Au lendemain de cet événement tragique, des travaux urgents de rénovation ont été entrepris afin de redonner vie aux quartiers dévastés qui étaient parmi les plus vibrants et palpitants de la capitale. Le processus de reconstruction et de relèvement de la ville qui va suivre s’annonce long et couteux, en espérant qu’il sera rigoureusement planifié. Dans ce contexte, il est absolument nécessaire de ne pas manquer l’occasion de définir les contours d’une véritable politique urbaine pour Beyrouth, dont l’absence avait conduit aux multiples dysfonctionnements de la ville. Une vision intégrée de la capitale doit à présent être élaborée et ce dans le cadre d'un schéma directeur - toujours inexistant - pour l'ensemble du territoire national.

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU                                      

Aujourd'hui en grande partie détruit, le port de Beyrouth devra également être reconstruit selon un nouveau plan directeur amélioré et avec l'objectif de renforcer sa position de leader au niveau régional. Mais ce qui a été depuis l'époque phénicienne corrélé avec fierté à un récit national est désormais associé à un traumatisme national. Voué à porter la cicatrice indélébile de cette explosion historique, le port a vu sa destinée changée à tout jamais et il est tenu plus que jamais de retrouver le lien perdu avec la ville, d’être réapproprié par le peuple.

LA PROMESSE DE L’AUBE

Aujourd'hui, le lieu de l'explosion dans l’enceinte portuaire est marqué de profonds stigmates et incarne une des heures les plus sombres de l’histoire du pays. C'est assurément un lieu clé pour tout développement urbain qui viserait à réaffecter des zones du port dans le domaine public et à les requalifier en espaces publics ouverts à tous. Pour être d’une grande portée symbolique, il est essentiel pour tout futur projet d’émerger du cœur même de la catastrophe, de prendre forme à l'épicentre du cataclysme.

MEMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Jusqu'à la date fatidique de l'explosion, les silos à blé du pays ont toujours été perçus comme ce massif bâtiment industriel dont l’imposante silhouette dominait le panorama du port. Au lendemain de la tragédie, les ruines de la structure toujours debouts au milieu du chaos, ont pris une nouvelle dimension symbolique et sont devenues depuis lors une partie intrinsèque de la mémoire collective du peuple. Par conséquent, il est absolument nécessaire que ces vestiges soient préservés de manière permanente et qu’ils soient classés au patrimoine national au titre de monument historique.

VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

La reconstruction physique de Beyrouth et de son port est de la plus haute urgence économique et sociale. Dans une certaine mesure, le relèvement de la ville participe du processus de guérison d’un peuple qui a eu à subir un traumatisme collectif. Jusqu'alors, la souffrance de la population a été atténuée grâce à des initiatives individuelles et collectives plus ou moins structurées, tels que des actes de solidarité et des actions sur le terrain, des cérémonies commémoratives informelles et autres démarches participatives aux effets thérapeutiques. Toutefois aujourd'hui, et compte tenu de l'ampleur et de l’enjeu de l'événement, il est absolument nécessaire de formuler un manifeste puissant et audacieux au nom de tout le peuple libanais et ce à travers un projet éminent et symbolique qui cristallise le tourment de la nation.